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Le supermarché

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Rueil-Malmaison, 15 oct.1958, peu avant 9H. Ça s’active dans le quartier, les rues ne sont toujours pas bitumées, les barres d’immeubles et le centre commercial prévus ici ne sont pas achevés… Mais elle est là, fébrile : la 1ère cliente franchissant le seuil du 1er supermarché français. Le directeur lui offre le montant de son 1er chariot, sorte de panier roulant. Elle n’ose pas le prendre, de peur d’être ridicule. Elle va devant un rayon attendre un vendeur. Mais il n’y en pas, on l’incite à aller se servir elle-même dans les allées. La voilà avançant vers des viandes étrangement préemballées…

La grande distribution vient de faire ses premiers pas.

La création du supermarché a suivi de près celle du libre-service, cette proposition faite au client de toucher, de se servir. Le 1er magasin français en libre-service date de 1948, on le doit à Goulet-Turpin.
Des embryons de supermarchés naquirent dans les années 20 aux États-Unis. C’est Michael Cullen qui est le père du concept : en 1930 il entasse dans un garage des tonnes de marchandises avancées par un ami grossiste et se procure des stocks d’invendus. Grange, garage ou usine, présentation sommaire, produits empilées, prix très avantageux, publicité dans la presse… les bases du supermarché étaient jetées. Le succès fut fulgurant et fit boule de neige.

En France, l’ancêtre du supermarché, c’est Prisunic, commerce populaire d’articles en grande série. En 1949, Edouard Leclerc transforme son épicerie bretonne et devient le premier à pratiquer la vente en gros, avec l’objectif de baisser les prix. Il révolutionnera le commerce. Puis, après l’ébauche de la Grande épicerie Bardou, c’est en 1958 qu’ouvre le 1er véritable supermarché français, l’Express-Marché de Goulet-Turpin.
Très vite, 2 familles commerçantes s’unissent pour créer Carrefour, le premier hypermarché français (situé au carrefour de 5 voies, d’où son nom). Suivront d’autres enseignes, comme Auchan (situé aux « Hauts Champs »). Sa différence avec le supermarché, c’est sa taille, son parking immense, sa station essence…
Ce fut une véritable révolution, économique et sociale. La notion d’« hypermarchés à la française » exprima une différence avec ceux américains en ce qu’ils mariaient alimentaire et non alimentaire, sous le slogan « tout sous le même toit ».

Naîtront ensuite les cafétérias accolées (Casino en 1967 installa la première en son fief de St Étienne). En 1973, Carrefour ouvre son 1er hyper à l’étranger. La fin des années 70 et le début des années 80 voient l’apparition des produits « marques d’enseigne » et « génériques », de même que les fameux codes-barres, icônes de la société de consommation. En 1988, après s’être lancé dans les pompes funèbres à bas prix, poursuivant son objectif de couvrir tous les besoins du consommateur, Leclerc obtient la vente de parapharmacie et la 1ère station d’autoroute.
Les évolutions seront infinies : billetterie, self-scan des produits…Aujourd’hui, les grandes surfaces s’axent sur la fidélisation et le crédit, Carrefour allant jusqu’à créer Carrefour-banque.
Autres « révolutions dans la révolution » : la création de la 1ère supérette automatique à Lyon en 1998, et surtout le lancement du cybermarché, permettant de faire ses courses « en ligne » et de se les faire livrer (le 1er fut Houra.fr en 2000).
Définitivement ancré dans nos modes de vie, le supermarché se décline désormais dans tous les domaines : le hard–discount d’abord, mais aussi le sport, le bricolage, etc… Ses points forts, inégalés et inégalables : le plus grand choix au plus faible coût, le tout en un gain de temps sur lequel le consommateur n’est plus prêt à faire de concessions.

C’est la période de grande prospérité que connut la France en fin des années 50 - début des années 60 qui permit un tel lancement : la part de femmes travaillant augmente, la population déserte les campagnes pour les villes et leurs périphéries. Le pouvoir d’achat des ménages explose. Ils s’équipent en voitures et frigos, deux acquisitions qui assurèrent le développement des hypers : l’auto permettant de se rendre en périphérie où les hypers sont implantés et le frigo permettant de « faire ses courses pour la semaine » et toutes les courses : espacer les visites chez les commerçants, toutes les réunir chez le même, et donc gagner du temps.

L’atout décisif pour chacun des acteurs fut et demeure la réduction des coûts.

La « grande distribution » est devenue un acteur de poids dans la société et l’économie. Et la nécessité de gérer des immenses quantités de stocks et références amena les grandes surfaces à se montrer moteurs de progrès considérables en informatique et logistique.

Les avantages furent indéniables, tant pour les clients que pour les enseignes. Le libre-service contribua à éloigner le vendeur, rapprochant le client de la marchandise et donc l’incitant à l’achat ; le client qui peut se servir lui-même est davantage enclin à l’achat compulsif de produits séducteurs et disponibles, et ce dans un très large choix. Cela engendra réduction du personnel de vente et des frais de fonctionnement pour l’enseigne et amélioration du panier moyen pour le client.
Il est déjà perceptible que ces effets positifs sont les mêmes que ceux négatifs en ce qu’ils deviendront pervers.

Mais longtemps, les supermarchés bénéficieront du soutien gouvernemental, qui pensait que cela allait réduire l’inflation. Le Gal de Gaulle félicita même officiellement E. Leclerc. Mais ces effets positifs ne vinrent jamais. Alors le gouvernement tenta de freiner l’implantation des hypers, en vain.
Les effets pervers sur l’économie ne tardèrent en effet pas à se faire ressentir. D’abord, les épiceries et petits commerces entamèrent une mort inéluctable, désertant les villages et poussant habitants et entreprises à se désenclaver.
Ensuite, la société devint « société de consommation », l’hyper étant le symbole du matérialisme absolu. Aller au centre commercial devint La « sortie » du week-end.  La consommation, puis la surconsommation comme clés de l’épanouissement ou de la réussite, les supermarchés y veillent en donnant au client l’illusion et les moyens de tout acheter.

Or la société change, et la grande distribution en essuie les conséquences.
D’abord, elle subit la même révolution qu’elle a fait subir au petit commerce : le cybermarché gagne du terrain ! Mais elle a su proposer elle-même ces services-là, partant du principe « un nouveau marché émerge, prenons-en part ».
Ensuite, le hard-discount devient une terrible concurrence, au point que pour la première fois en 2004 les hypers ont perdu des parts de marché à son profit… Qu’à cela ne tienne, les enseignes multiplient leurs gammes discount et Géant inaugure en 2005 le 1er hard-discount sur un format hyper.
Enfin, nous assistons à un retour flagrant de certaines valeurs. Le consommateur essaye de mieux consommer, vers plus d’économie et d’écologie. Face à un porte-monnaie rétrécissant, une santé à laquelle on prête de plus en plus attention et une terre se dégradant, il essaye de « consommer responsable ». Qu’à cela ne tienne, les rayons terroirs, labels bio et produits de haute qualité fleurissent dans les allées de supermarchés.

Mais peut-être que cette fois, cela ne suffira pas. Les nouvelles formes de « petits commerces », avancent, timidement, mais sûrement. D’une certaine façon, il y a un retour à un mode de consommation ancien, celui d’avant nos parents. Là où ces derniers allaient chez Leclerc acheter légumes, savon, pantoufles et télé, désormais l’internaute écolo, se réinstallant en campagne, surfe sur le net pour débusquer les baskets du petit, avant de valider sa commande d’un home-cinéma payable en 3 fois sur un site discounter, puis il enfile son pull pure laine équitable acheté à un petit auto-entrepreneur qui ne connait pas la crise, et file à sa supérette qu’il faut faire survivre, acheter l’alimentaire que ne lui fournissent pas encore ses paniers bio distribués par des agriculteurs locaux. Au retour, il récoltera quelques tomates cerise « cultivées maison » avant de faire une liste – vous l’aurez compris : très amaigrie - des courses qu’il ne peut indéniablement faire qu’en grande surface. Et, qui sait ? Peut-être s’y laissera-t-il tenter par une « bonne affaire » satisfaisant son envie d’achat impulsif…

Les traits grossis de ce portait ne sont pas si loin d’un futur palpable. Ces nouveaux modes de consommations mettent du temps à se développer car ils ont longtemps été réservés aux consommateurs aisés. Mais cela change, les prix de ces « marchés parallèles » baissent, la surconsommation aussi. Et au final, consommer mieux revient à consommer économique.  

L’avenir est donc dans la coexistence des deux sortes de commerce, et faisons confiance à la grande distribution pour savoir, encore et toujours, évoluer. À sa naissance, le client a dû s’adapter à elle, désormais c’est elle qui doit s’adapter au consommateur.