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L’histoire de l’almanach du facteur

almanach

Les premières soirées de frimas annoncent le passage du facteur portant sous le bras ses calendriers proposés contre quelques étrennes.

Tiré à 18 millions d’exemplaires chaque année, l’almanach du facteur est un calendrier doté de nombreuses informations, certaines coutumières, d’autres plus scientifiques. Si son utilisation la plus courante consiste à prendre connaissance des vacances, jours fériés et autres ponts, il informe également sur les prénoms à fêter, les évènements locaux, les éphémérides et bien d’autres choses encore.
Qu’il soit accroché au mur ou rangé dans un tiroir, l’almanach du facteur occupe une place privilégiée dans les foyers, acteur ou témoin de notre quotidien, objet très culturel vieux de 250 ans.

C’est au lendemain de la création de la Petite Poste de Paris en 1758 que les facteurs prirent l’habitude d’offrir, en remerciement des étrennes qu’ils recevaient pour le Nouvel An, des petits calendriers muraux. Les premiers s’appelleront Almanach de la Petite Poste de Paris, de Lille. Puis, après avoir pris des dénominations aussi variées que : Étrennes du Facteur, Almanach du Cabinet, Calendrier de Bureau, Calendrier de Comptoir, Calendrier des Postes, ils adoptèrent le nom d’Almanach des Postes en 1810.

C’était alors un simple carton, recto-verso, où figuraient les calendriers grégorien et républicain, ainsi que les heures d’ouverture des bureaux de poste, les dates de foires et marchés et les heures des levers et couchers de soleil. Certains contenaient les « vœux du facteur ».

En 1849, l’administration des postes autorisa officiellement les facteurs à distribuer ces calendriers pour leur compte, se réservant le droit de vérifier l’exactitude des renseignements postaux, et de contrôler les illustrations, qui ne devaient pas froisser le public sur le plan moral, religieux ou politique.
En 1855 l’almanach est institutionnalisé dans le cadre d’une unification nationale et d’une chasse aux publications hostiles au gouvernement. Il devient dès lors un document de service à l’usage du public, baptisé Almanach des Postes-Étrennes des Facteurs, et doit impérativement mentionner les saints et des renseignements sur le service postal. Seront instaurés un monopole de l’administration des postes pour les calendriers de Paris, et le contrôle des directeurs départementaux pour ceux de province, élevant ainsi le carton au rang de document de référence, désormais enrichi de cartes géographiques.
Le calendrier changera d’appellation pour Almanach des Postes et Télégraphes en 1880, puis Almanach des PTT en 1945, pour finalement devenir en 1989 l’actuel Almanach du Facteur.

En 1850 les facteurs rennais firent imprimer des feuillets au format 21X27 qu’ils collèrent sur des cartons qui comptaient 6 mois de chaque côté accompagnés de données postales et zodiacales… Le format de l’almanach moderne était né. L’imprimeur rennais F.-C. Oberthur, avec son ingénieuse idée d’un almanach départemental, sera longtemps le fournisseur officiel, puis plusieurs maisons d’édition se partageront le marché, comme la maison Mary-Dupuis ou la Sté Oller.

Au fil du temps quelques pages viendront étoffer l’intérieur de la double couverture cartonnée, mais le contenu n’évoluera guère. Constantes bien qu’ancestrales, les indications destinées aux agriculteurs, aux populations rurales, ou encore aux pratiques religieuses demeurent. Ainsi les phases de la lune, les saisons, équinoxes, solstices et éclipses, de même que les jours saints et ceux de jeûne, abstinence ou pénitence, sont glissés à côté des jours sous forme de discrètes lettres peu connues. Des prévisions météo, bien qu’aléatoires, subsistent aussi.

Dans les illustrations centrales, témoins précieux de leur temps ou icônes immuables, le noir et blanc des origines cèdera la place aux couleurs, puis à la photographie. Étaient représentés des évènements de l’année passée ou des scènes de vie quotidienne, mais parfois les images furent un support de propagande politique. Tel fut le cas durant la guerre de 14-18, mais ce ne seront jamais des images directes de faits de guerre, et il y aura toujours un côté face plus léger, bien qu’encore porteur d’un message atténué. C’est surtout pendant la guerre de 39-45 que la propagande sera à son apogée, en représentant des portraits : Pétain de 39 à 44, puis De Gaulle en 45.
À partir de là, en même temps que la photographie remplaçait les dessins, le sujet de l’image s’appauvrit définitivement : les bébés animaux et jolis paysages apparurent pour ne plus jamais disparaître.
Cette aseptisation est néanmoins le fruit de son temps : d’abord, médiatisation absolue et société en perpétuel mouvement font qu’il est difficile de proposer, un an avant, une image qui aura du sens pendant douze mois ; ensuite, les facteurs commandent les calendriers les plus demandés : doyens et bambins (à qui les parents confient volontiers le choix de la photo) apprécient les petits chats et autres prairies. Ces personnes forment une grande part des « consommateurs », sans parler du nouvel engouement des générations intermédiaires pour le rétro, voire le désuet.
Des images plus actuelles ont tenté de percer : stars de la chanson, an 2000, Union Européenne, plus récemment arts créatifs, et plus surprenant, « Plus belle la vie » ou encore Jean-Paul II.
Mais si l’on demande aux facteurs pourquoi de tels almanachs ne figurent pas dans leur panier, ils répondent unanimement qu’ils leur « resteraient sur les bras ». 

Le calendrier de la poste a su traverser le temps et s’adresser à tous, du paysan à la coquette, de l’érudit à l’illettré. L’usager est attaché à l’almanach, tantôt pour ce qu’il apporte d’informations, tantôt pour l’objet en lui-même, soigneusement choisi, parfois collectionné, et tantôt enfin pour tout ce qu’il véhicule de souvenirs d’enfance, de tradition. Ceci explique pourquoi l’almanach du facteur n’a presque pas changé depuis ses débuts : il est l’élément stable de notre quotidien. Toutes tentatives de modernisation (format, matière) ont échoué.

Il ne cadre plus avec les décors actuels, de sorte qu’il se retrouve rangé dans un tiroir pour parfois n’en jamais ressortir, mais qu’importe, son achat relève d’une longue tradition plus que d’un réel besoin. C’est bien l’échange avec le facteur qui règne, échange qui se veut le reflet des implications facteur-usagers et, au-delà, du respect apporté à l’agent. D’où la délicate et incurable question : « combien donner ? »

La vivacité de la coutume se perd quelque peu, dans les zones très urbanisées où l’on ne connaît plus son facteur, ou du fait d’une stigmatisation des fonctionnaires dans un contexte socio-économique difficile. De sorte que certains préposés eux-mêmes sont moins enclins à effectuer cette tournée du soir trouvant souvent porte close.
Mais le regain d’intérêt actuel pour l’ancien, le traditionnel, perçus comme authentiques, laisse à penser que l’almanach du facteur a encore de beaux « cartons » devant lui.