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Carnaval et mardi gras

L’origine lointaine de Mardi Gras ce sont les Calendes de Mars célébrant le réveil de la nature. Mais sa véritable origine est chrétienne, c’est la veille du Mercredi des Cendres marquant l’entrée dans le Carême, période de jeûne et d’abstinence jusqu’à Pâques. C’est un jour d’abondance et d’amusement, une parenthèse avant les privations. Aujourd’hui la tradition demeure, survit aux fêtes religieuses moins suivies.

Mardi Gras autorise l’excès : on fait ripaille, on mange gras, par opposition au manger maigre du Carême interdisant de consommer viande, œufs, graisses... Il s’agit aussi faire des réserves, prendre des forces avant les menus austères, mais encore de finir les provisions bientôt bannies. Chacun utilise ses restes de graisse et d’œufs dans des pâtisseries frites, ancêtres des crêpes, beignets de carnaval et autres mets simples et gourmands du Mardi Gras actuel. Des mets que quiconque quel que fût son milieu pouvait préparer, esprit animant le carnaval lui-même : éliminer toute distinction sociale.

Carnaval vient de carne levare (enlever la viande) évoquant le jeûne du Carême. Petit à petit ce terme fut utilisé pour désigner la fête associée : une fête colorée, bruyante, de défoulement par anticipation avant l’austérité. Le carnaval consiste à s’amuser, festoyer, avec la particularité de se déguiser, se masquer pour aller dans les rues parader, danser, faire de la musique, jeter des confettis…

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Le grand nombre de carnavals célèbres dans le monde témoigne de la vivacité d’une fête allant au-delà de la religion. Les dates, longueurs et coutumes diffèrent, mais un même esprit les gouverne : travestir la réalité. Le carnaval a toujours contenu, dès l’origine, une inversion de l’ordre établi et de la distribution des rôles. Le roi devient humble, le mendiant est sacré roi du carnaval. Les conventions et règles sociales bousculées, oubliées un temps. Le sens de cette fête populaire par excellence, c’est de se distraire de nos préoccupations et existences réglées.

Le carnaval, dans son aspect symbolique, est presque aussi vieux que l’humanité. Le plus ancien masque retrouvé date du paléolithique. Aux origines, c’était une fête païenne marquant la sortie de l’hiver et le réveil de la nature, la transition vers l’année nouvelle nécessitant de passer par un chaos, synonyme d’annihilation, permettant ensuite un renouveau, symbolisé par l’inversion.
On retrouve des fêtes semblables dans l’antiquité : celles égyptiennes en l’honneur d’Osiris, babyloniennes (Sacées, où un condamné à mort devenait roi d’un jour), grecques (faites de défilés, mascarades, mimes…) et surtout romaines : les Saturnales, marquant par des réjouissances le solstice d’hiver et destinées à redonner espoir au peuple face à la stérilité hivernale du sol. C’était une période de total renversement : les maîtres servant les esclaves, les institutions restant fermées, le travail étant interdit, des cavalcades et banquets paillards envahissant les rues, un roi de pacotille étant élu… Cette fête représentait également l’égalité originelle des hommes.

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Le carnaval moderne trouve ses origines en Europe, mais s’est répandu sur toute la planète à mesure qu’on la christianisait. Très présent en Europe et Amérique et normalement inexistant dans les pays protestants et orthodoxes, le carnaval s’imposa partout à mesure qu’il perdit de sa teneur religieuse.
L’Église catholique a d’abord condamné cette fête jugée idolâtre. Puis, ne parvenant pas à lutter, elle l’a progressivement récupéré et intégré dans ses pratiques religieuses.
Le carnaval remonte donc au Moyen-Âge où de nombreuses fêtes s’étendaient de Noël au Mercredi des Cendres : fêtes des fous, de l’âne, des innocents… et du carnaval, inséré entre Épiphanie et Mercredi des Cendres. Mêlant profane (marquer la fin de l’hiver) et sacré (préparation au Carême), fleurissaient danses dans les églises, messes dites à l’envers, mascarades, déguisements, joyeux défilés, banquets offerts au peuple, vin, luxure... tous les débordements étaient permis dans une forme décompression sociale évacuant les souffrances et offrant une revanche sur l’ordre social par l’inversion des rôles, cachés derrière masques et costumes, pour être, le temps d’une journée, un autre. Mardi gras marquait l’apogée du carnaval et un mannequin de paille, incarnant Carnaval, était jugé et condamné à mort, souvent par le feu, symbolisant le renouveau.
Plus tard, les cours royales organisèrent de belles fêtes, à Versailles peintres et architectes rivalisaient de décorations, musiciens et poètes inventaient des fables chantées dans les rues. Petit à petit ces cérémonies s’organisèrent et donnèrent lieu à des représentations théâtrales.
Cette ‘Fête à l’envers’ fut de plus en plus encadrée, jugée contraire à l’ordre public, puis attaquée par les philosophes des lumières y voyant une coutume barbare, la révolution tenta même de la supprimer… en vain. Le carnaval perdura, mais perdit au fil des siècles sa charge subversive pour prendre une forme conventionnelle, plutôt réservée aux enfants.

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En France, le carnaval c’est avant tout Mardi Gras qui est essentiellement une fête des enfants, qui se déguisent se voient offrir crêpes, beignets et autres pâtisseries.
En effet le carnaval c’est aussi la fête de la gloutonnerie par excellence : toutes les gourmandises sont permises : crêpes, beignets, gaufres… Chaque région a sa recette de beignets : les bugnes à Lyon, les oreillettes dans le Midi, le tout saupoudré d’une montagne de sucre.

À côté de cela, de nombreuses villes ont conservé sous une forme ritualisée des pratiques carnavalesques d’autrefois. Il y a bien moins de carnavals, mais là où ils demeurent ils sont vivaces. Chaque ville a développé ses coutumes propres, mais partout les symboles sont le déguisement, les masques, la musique, les bals masqués, les cortèges costumés, les chars bariolés, fleuris ou fantasques, les parades, les batailles d’œufs, de confettis, les défilés de chars, de grosses têtes, de danses... L’imagination est reine.
Ces manifestations remplissent une fonction sociale, symbolique. On retrouve dans tous les carnavals le principe d’inversion dans les costumes et les jeux. Le masque et plus largement le déguisement ont un rôle crucial : il n’est pas tant question de faire croire que l’on est un autre, mais de dissimuler notre personnage social pour libérer notre personnalité véritable.

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Les célèbres carnavals ont tous leur particularité. À Dunkerque c’est les parapluies multicolores, à Nice, les batailles de fleurs, les grosses têtes en carton-pâte, les chars fleuris… À La Nouvelle-Orléans, le jazz est à l’honneur et on mange le King Cake, cousin de la galette des Rois. Le carnaval de Venise est le plus élégant. À Binche (Belgique) il y a Les trouilles de Nouille ou Les Gilles De Binche, un des plus célèbres carnavals d’Europe.
Originairement inexistant dans les pays protestants, le carnaval s’y est largement imposé après la 2nde guerre mondiale et est désormais très important en Allemagne.
En Grèce, Les Apokries précédent le Carême orthodoxe, il y est coutume de festoyer déguisée pendant trois semaines ponctuées par un défilé géant.

Au Brésil, paillettes et plumes envahissent les rues dans des défilés de sambas endiablées de milliers de personnes. Le Carnaval de Rio (Entrudo) est la fête populaire la plus connue au monde. Importée par les colons portugais, elle prit vite une identité propre, unique : une tradition culturelle, préparée toute l’année. Règnent folie et pouvoir du peuple. Musiques, costumes et allégories offrent une leçon d’histoire brésilienne, mariant coutume et modernité.

En Guyane, le carnaval a un sens profond, renseignant sur l’histoire comme sur la nature humaine. Les colons célébraient le carnaval devant leurs esclaves, qui en comprirent vite l’enjeu de dérision, donc de liberté. Or la fête leur était interdite. Mais peut-on interdire les rires, la danse ? L’esprit du carnaval était là, universel, rejoignant celui des fêtes africaines célébrant, comme toute civilisation, la renaissance, que les chrétiens n’ont fait que reprendre. Le carnaval se métissa donc, puis prit une personnalité propre, au point qu’aujourd’hui c’est la Guyane qui colonise ceux qu’elle reçoit en son carnaval.